Le livre présenté par Nathalie M. « V13 » d’Emmanuel Carrere paru le 25 août 2022 aux éditions P.o.l
364 pages
Résumé :
Le procès fleuve des attentats du 13 Novembre 2015, qui ont fait 130 morts et 350 blessés à Saint-Denis et à Paris, s’est tenu entre septembre 2021 et juin 2022.
Pendant dix mois, plus de 300 témoins ont été entendus, dont des rescapés de cette nuit d’horreur. Les 20 accusés ont été jugés. Parmi eux, Salah Abdeslam, le seul survivant des commandos de l’organisation du groupe État islamique, commanditaire de ces attaques.
Emmanuel Carrère a assisté à l’intégralité du procès et tenu une exceptionnelle chronique hebdomadaire, publiée dans 4 grands journaux européens, L’Obs en France, El País en Espagne, La Repubblica en Italie, Le Temps en Suisse.
V13 (« comme tous, magistrats, avocats, journalistes, appelons ce monstrueux procès du vendredi 13 novembre dans lequel nous sommes embarqués », écrit E. Carrère) rassemble l’ensemble de ces chroniques.
C’est une descente aux enfers dans laquelle l’écrivain parvient toujours à saisir l’humanité des uns et des autres, qu’elle soit bouleversante, admirable, ou abjecte.
Il saisit l’ironie terrible des propos, des situations. Il refait le récit des événements, et surtout livre son écoute magnifique des paroles et des silences de ce procès. Il en fait notre histoire. Il donne à cet écheveau complexe d’horreur, d’idéologie, de folie et de détresse, une dimension universelle, profondément humaine, qui atteint chacun d’entre nous : « Marylin porte toujours sur elle, dans un petit tube en plastique, l’écrou de 18 mm qu’on a extrait de sa joue. Elle le sort de son sac, ce tube, devant la Cour. Elle dit : Je veux bien vous le montrer, mais je le garde. Elle le remet dans son sac et elle repart avec, et 250 autres témoignages vont déferler après et écraser le sien, mais quand même, Marylin qui s’éloigne, seule, gracieuse et triste, tellement triste, avec son écrou dans son tube, je ne l’oublierai pas. »
Son avis :
Dans V13 Emmanuel CARRERE, comme d’illustres prédécesseurs (GIDE, KESSEL, GIONO..) revêt l’habit de l’écrivain-journaliste pour le compte de l’OBS qui lui demande de suivre chaque jour le procès du 13 novembre. Son livre « V13 » rassemble toutes ses chroniques.
Emmanuel CARRERE connait le métier, il maîtrise l’exercice, qu’il se pose en romancier, journaliste ou cinéaste, il sait se mettre à portée d’hommes et traduire avec sa sensibilité d’écrivain c’est-à-dire au delà de la retranscription objective, les vibrations, les tensions, les silences, les malaises, le courage, la lâcheté, autant d’émotions palpables qui nous plongent en tant que lecteur dans un état second.
Depuis janvier 2015 et les attentats de CHARLIE HEBDO, la France est la cible d’attentats terroristes . Dans cette tragédie contemporaine, la journée du 13 novembre 2015 est la plus meurtrière de notre histoire: trois attentats terroristes simultanés et 130 morts.
Six ans plus tard, le 2 septembre 2021, alors que les neuf membres du commando sont tous morts, s’ouvre devant la cour d’assises de PARIS un procès historique dont l’exemplarité de l’organisation au regard des moyens mis en œuvre sera unanimement saluée.
Pour que ce procès eut lieu, il a fallu :
- une salle d’audience spécialement construite pour accueillir 550 personnes,
- neuf mois d’Audience,
- autorisation exceptionnelle d’enregistrer ou de filmer (dont les images ne seront accessibles qu’en 2072),
- une ordonnance de mise en accusation de 378 pages qui résume 542 tomes de dossier de 6 ans d’instruction
- 1800 à 2000 parties civiles
- 350 avocats pour les représenter
Des moyens spectaculaires et la frustration de n’avoir en face, dans le box des accusés, que 14 inculpés dont un seul Salah ABDESLAM, a participé activement aux attentats.
Il est qualifié de vedette du procès, un terme qui me gêne pour celui qui est le plus extrême, celui qui aurait dû actionné sa ceinture explosive mais qui par défaillance du système ou instinct de survie-on ne saura jamais- n’est pas allé jusqu’au bout de son idéologie religieuse. Toujours est-il, que le terme « vedette » appliqué à des barbares qui se considèrent déjà comme des héros me laisse un goût amer.
Dans le box à côté de Salah ABDESLAM, 13 complices impliqués dans les attentats à des degrés divers ont en commun la même trajectoire, un enrôlement dans l’organisation l’état islamiste selon le triangle connu depuis longtemps SYRIE BRUXELLES PARIS.
Le récit d’Emmanuel CARRERE suit la chronologie du procès et commence par le témoignage des victimes, 100 pages insoutenables, déchirantes à faire des cauchemars la nuit, soyons clairs, les lecteurs de ce livre sont pour l’essentiel soit de la génération des victimes, soit de la génération des parents des victimes, l’identification est spontanée. Les survivants racontent l’horreur, nous restons impuissants et sidérés mais notre empathie est d’emblée acquise.
C’est au moment où les chapitres sur « les accusés » puis « la cour » s’enchaînent que nous espérons obtenir enfin un début d’explication.
Qualifier les faits, les éclaircir, puis défendre les accusés sans défendre les faits qu’ils ont commis, juger et punir, neuf mois plus tard, on constate que dans ce procès on apprend peu de choses nouvelles sur les accusés et leurs rôles, Salah ABDESLAM reste « une énigme, un vide abyssal «
En revanche « tout ce qui concernait les victimes a été immense, immense ce qu’en les écoutant on a appris de l’humanité » page 314
Une humanité qui nous constitue et qui demeure démunie face au terrorisme. Cependant, on peut s’étonner que sur 250 témoignages, une seule victime soit venue exprimer sa haine « on me dit que je suis d’extrême droite, je ne sais pas mais même si je suis d’extrême droite, est-ce que ça rend ma fille moins morte ? «
De mon point de vue cela démontre bien à quel point ce procès a été celui d’une communauté de victimes, un procès exemplaire, une organisation impeccable et aussi tout autre chose « une expérience unique d’effroi, de pitié, de proximité, de présence. C’est seulement tard que j’ai pris conscience du fait que la boîte ressemble à une église moderne, et qu’il s’y est déroulé quelque chose de sacré. «
Pourtant, c’est une communauté de victimes éclairées qui se dresse devant 14 fanatiques en proclamant « vous n’aurez pas ma haine « . En unissant leurs douleurs, elles sont davantage prêtes à pardonner, c’est louable et correspond à nos valeurs républicaines, à notre idée de la justice, ne jamais répondre par la vengeance.
La limite de ce procès est que nous restons au point mort, que l’on pardonne et que l’on juge et condamne, « la radicale incompatibilité de nos civilisations » demeure.
Comme l’explique l’auteur, le terrorisme a pour moteur le sadisme « La propagande, normalement cache l’horreur. Ici, elle l’exhibe. L’état islamique ne dit pas: c’est la guerre, nous avons le triste devoir pour que le bien triomphe de commettre des actes terribles. C’est sur l’exhibition du sadisme, sur l’autorisation d’être sadique qu’il compte pour convertir. « Page 43 »
V13 est donc un livre pour l’histoire, l’écriture viendra combler les blancs des images du procès qui seront disponibles en 2072.
Il porte les idéaux et les rêves de liberté de toute une génération et encore une fois révèle les limites de tels procès.
On en revient toujours à la frustration de ne pas avoir dans le box des accusés les vrais coupables et au constat effrayant de notre impuissance face « au bras armé d’une idéologie totalitaire qui au nom d’une cause spirituelle supérieure *» s’attaque à nos démocraties, à notre manière de vivre libre sans censure, sans renoncer à combattre pour l’égalité.
On peut lire autant de livres, autant d’articles de journaux sur les procès terroristes que l’on veut, le constat est toujours le même, les fanatiques qui commettent ces actes barbares recrutent leurs complices auprès de jeunes religieux sans éducation, dans le procès de Charlie Hebdo, une avocate les décrivait atteints « d’une cécité foudroyante, de degré de réflexion d’un bulot « . Ce sont ces mêmes profils que l’on juge et c’est encore « la bêtise à l’état pure qui triomphe*. »
Ce procès hors normes a ouvert la voie à une nouvelle forme de justice, pour quel avenir ?
Depuis le 5 septembre 2022, devant la cour d’assises spéciale de Paris, et en l’absence du terroriste, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, un Tunisien de 31 ans, abattu le soir même, a lieu le procès de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice
« Huit accusés, 865 parties civiles et une enquête complexe : le procès de l’attentat sur la promenade des Anglais, à Nice, le 14 juillet 2016, qui a fait 86 morts et plus de 400 blessés »
Nettement moins relayé par les médias, la gigantesque salle d’audience reste à moitié vide. Que faut-il en déduire ?
Sa note : 4/5
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