Le livre présenté par Elisabeth, Les Peaux rouges, d’Emmanuel Brault, paru le 30 août 2017 aux éditions Grasset Et Fasquelle
194 pages
Résumé :
« Ce matin, je sors, plutôt pressé, et j’ai pas fait trente mètres, que paf… une rouge avec sa marmaille me rentre dedans au coin de la rue. Elle se casse la figure et me gueule dessus. Elle me dit que je l’ai fait exprès, que c’est une agression.
En temps normal, on se serait excusés, j’aurais fait mon sourire de faux cul et tout serait rentré dans l’ordre.
Mais non, je trouve rien de mieux que de lui cracher : «fais pas chier sale rougeaude» et manque de pot, une passante qui arrive derrière moi a tout entendu.
C’était puni par la loi du genre super sévère depuis les événements, à égalité avec viol de gamin ou presque. On était à trente mètres de chez moi, ils m’ont facilement retrouvé. Et là mes amis, mes problèmes ont commencé, et des vrais comme on n’en fait plus. » Amédée Gourd est raciste. Il pense comme il parle. Mal.
La société entreprend de le rééduquer.
Grinçant par son sujet, ce roman tendre et loufoque met en scène un antihéros comme on en voit si peu dans les livres, et si souvent dans la vie.
Une histoire d’amours ratées mais de haine réussie.
Une fable humaine, trop humaine.
Son avis :
Singulier récit tant du point de vue de la forme que du fond. Si vous vous attendez à découvrir les indiens d’Amérique, la déception vous guette.
Amédée Gourd qui est aussi le narrateur est un type antihéros, inculte, qui parle mal. Il est cariste, vit avec sa « mémé » qu’il adore et qui l’a élevé et dont il prend le plus grand soin. Mémé est sûrement la seule personne qui l’ait aimé. Amédée Gourd est dans le fond un bon bougre plutôt tendre.
Ce qu’il n’aime pas Amédée, sans leur vouloir du mal, ce sont les « Peaux rouges » qui arrivent par vagues successives d’un pays en guerre, c’est un raciste.
Sa vie bascule le jour où il bouscule sans le vouloir une Peau rouge, il s’excuse mais la femme enceinte entourée d’enfants l’invective, fait un esclandre, dit injustement qu’il l’a fait tomber, surjoue l’agression. Amédée qui est un homme impulsif lui lance « Fais pas chier sale rougeaude ! », une femme entend ces mots et les rapportent. Tout le monde le traite alors avec le plus grand mépris, ses collègues, ses voisins ; il passe devant un tribunal dont les représentants le toisent de toute leur hauteur car il n’y a pas plus grand crime qu’être raciste.
Il se retrouve en prison puis dans un centre de rééducation animé par des psy. où il se sent bien. Pour une fois il ne se sent pas jugé, on s’intéresse à lui, il a des relations humaines bienveillantes.
Amédée ressort de ce centre guéri suite au témoignage d’un Peau rouge qui l’a touché. Il n’est plus raciste mais doit se soumettre à un contrôle administratif régulièrement, la rechute est toujours possible.
Mémé meurt brisée par le séjour en prison d’Amédée mais peu de temps après ce dernier tombe amoureux pour la 1ère fois. Le lien le comble jusqu’au jour où sa compagne découvre qu’il a fait de la prison pour racisme et le quitte.
La suite sera très compliquée.
Si Emmanuel Brault met l’accent sur le racisme, c’est pour dénoncer plus fortement encore l’antiracisme car Amédée est plus victime que bourreau, victime de son époque qui chasse les sorcières, du regard de l’autre qui cataloguent malades mentaux ceux qui sont considérés comme racistes.
Le décalage au niveau du fond l’est également au niveau de la forme : le récit est créatif, drôle et c’est un tour de force de réaliser tout un roman avec un langage familier, incorrect à bien des égards mais crédible dans la bouche de son antihéros.
Faussement naïfs, candides, les propos tenus par Amédée sont parfois ressentis comme évidents, justes.
Le talent de l’auteur s’exprime également à travers des glissements sémantiques plutôt poétiques et parfois drôles : « Les mouches avaient changé d’âme », « les nuages se battent au gel », le passe-temps devient un « casse-temps », Amédée dort dans les « bras des fées », il danse sur « le surimi », il n’a pas la « science infusée », « il reste droit dans ses crottes » et bien d’autres encore. Certains passages sont beaux, page 154 de l’ouvrage notamment.
Sa Note : 4,5/5
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